"Quelque soit l'endroit où vous écoutez +A Love Supreme+, c'est toujours une expérience spirituelle", déclarait Elvin Jones (1927 - 2004), l'emblématique batteur de John Coltrane, en 2002.
De cette œuvre légendaire, magistrale et unique dans l'univers du saxophoniste/flûtiste et compositeur (1926 - 1967) - et du jazz ! - on ne connaissait, outre l'enregistrement original studio de 1964, qu'une seule performance en public, donnée et gravée en direct au Festival Mondial du Jazz d'Antibes en juillet 1965.
Voici qu'une autre version "live", "A Love Supreme - Live in Seattle" (Impulse/Universal), totalement inédite et ignorée, captée dans un club de jazz de Seattle, "The Penthouse", le 2 octobre 1965, vient de paraître.
C'est à un autre saxophoniste, Joe Brazil (1927 - 2008), originaire de Seattle et que l'on retrouve à la flûte sur l'album "Om" (Impulse - octobre 1965) de John Coltrane, que l'on doit la sauvegarde de cette œuvre oubliée, aujourd'hui exhumée et remastérisée.
Pour cette soirée, le charismatique leader est entouré de son Quartet historique - McCoy Tyner (piano), Jimmy Garrison (contrebasse) et Elvin Jones (batterie) - augmenté d'invités comme Pharoah Sanders (saxe ténor/percussions), Carlos Ward (saxe alto) et Donald Rafael Garrett (contrebasse).
Et ce qui frappe l'oreille à l'écoute de cette musique empreinte de mysticisme, c'est l'orientation donnée par cet aréopage singulier - et principalement par le second ténor Pharoah Sanders, extatique et orgasmique dans les cris et les aigus sur son instrument - vers l'univers du free jazz, alors en pleine expansion.
Le message musical œcuménique lancé par le leader, s'il comprend les quatre célèbres mouvement de sa suite - "Acknowledgement","Resolution", Pursuance" et Psalm" - est entrecoupé ce soir-là d'"interludes", autrement dit de longs soli de contrebasses et de batterie.
Pour l'essentiel, il apparaît clairement que John Coltrane est en train de préparer une mutation esthétique et quasiment mystique vers une musique avant-gardiste où la liberté expressive débridée, voire chaotique, sera le leitmotiv.
Dont un autre album-clé, "Ascension", enregistré quelques mois auparavant à la tête d'un grand orchestre, annonçait déjà la couleur. L'ultime partie de l'histoire musicale coltranienne était en marche avec cette découverte fondamentale.
A noter que le saxophoniste-ténor aurait joué "A Love Supreme" une quatrième fois en 1966 dans une église de Brooklyn. Voire peut-être lors de concerts donnés pendant une tournée américaine entre juillet (Antibes) et octobre 1965 (Seattle).
Ces prestations auraient-elle été enregistrées ? La question est posée...!